Guy Benaderette
Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 17
Guy Benaderette
Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 17

Des rivalités dans la fratrie : théâtre intime du désir, du conflit et de l’identité


On a tous entendu ou vécu des petites (ou grandes) tensions entre frères et sœurs. Mais au-delà des chamailleries du quotidien, que nous disent la psychanalyse et la clinique de ces rivalités fraternelles ? Pourquoi ces relations marquent-elles aussi profondément notre manière d’être au monde ?

I. Frères, sœurs : premiers rivaux, premiers reflets

Freud : la fratrie au cœur du complexe d’Œdipe

Pour Freud, la fratrie est notre premier “autre”, celui ou celle qui vient troubler notre lien exclusif aux parents. Dès les premiers souvenirs, il note combien l’arrivée d’un frère ou d’une sœur peut susciter jalousie, hostilité et ambivalence. Dans le cadre du complexe d’Œdipe, les frères et sœurs sont souvent perçus comme des rivaux pour l’amour parental, en particulier celui du parent du sexe opposé. Cette haine fraternelle, bien souvent refoulée, ne disparaît pas : elle peut se transformer en culpabilité, en symptômes, ou en un surmoi rigide.

Lacan : entre miroir, symbolique et réel

Chez Lacan, la fratrie s’inscrit dans ses trois registres fondamentaux :

  • Dans l’imaginaire, le frère ou la sœur est ce double narcissique, un “autre moi” contre lequel le sujet se construit dans la rivalité : je suis moi parce que je ne suis pas lui/elle.
  • Dans le symbolique, chaque enfant prend une place dans le discours familial : l’aîné, le chouchou, le rebelle, l’oublié… Autant de rôles qui structurent notre identité.
  • Dans le réel, la rivalité peut se cristalliser dans des affects bruts, inaccessibles au langage, faits de fantasmes archaïques (fusion, exclusion, mort du rival…).

Le frère/la sœur devient ainsi médiateur du désir : il/elle est à la fois obstacle et détour dans le désir que l’on porte à l’Autre parental.

Regards contemporains : Klein, Dolto, Winnicott, Bergeret…

  • Mélanie Klein parle d’une envie primitive : le frère/sœur est vu comme celui qui “possède” l’objet d’amour (le sein, la mère), suscitant haine et attachement.
  • Françoise Dolto souligne l’importance de reconnaître et nommer la jalousie, pour lui donner une place symbolique.
  • Winnicott lie la capacité à supporter la rivalité à la qualité de l’environnement affectif.
  • Bergeret alerte : une rivalité mal digérée peut alimenter des troubles de type borderline ou des clivages identitaires.

II. La fratrie dans la clinique : quand le passé s’invite dans le transfert

La fratrie dans la cure psychanalytique

Le cadre thérapeutique est un terrain fertile pour que se rejouent des scènes fraternelles anciennes. Par exemple, un patient peut vivre le thérapeute comme un parent préférant un autre patient, ou projeter sur ce cadre sa rivalité avec ses vrais frères/sœurs.

Une analysante raconte sa jalousie envers sa sœur brillante. Dans la cure, elle s’imagine que l’analyste “préfère” d’autres patient·es. L’envie resurgit, avec son cortège d’exclusion et de douleur.

Rivalités et identité

Quand ces tensions ne sont pas symbolisées, elles peuvent s’exprimer de mille façons :

  • Un besoin obsessionnel d’être le meilleur ou le seul.
  • Des difficultés à se définir sans comparaison constante à l’autre.
  • Des relations marquées par la compétition, l’envie, ou l’alternance idéalisation/dévalorisation.

La place dans la fratrie, parfois invisible, se rejoue dans la vie adulte : dans les couples, les amitiés, les équipes de travail…

Situations spécifiques : enfants uniques, jumeaux, familles recomposées

  • Enfant unique : l’absence de rival réel n’élimine pas la rivalité. Des frères imaginaires peuvent apparaître dans le fantasme.
  • Jumeaux/jumelles : effet miroir décuplé, avec parfois une confusion ou des conflits identitaires très intenses.
  • Fratries recomposées : les places symboliques deviennent plus floues, avec des risques de confusion, exclusion, ou blessures réactivées.

En résumé : une scène psychique fondamentale

La fratrie est bien plus qu’un lien de sang : c’est un théâtre intime, où se rejouent les grands mouvements de notre vie psychique.

  • Pour Freud, c’est le prototype des conflits œdipiens.
  • Pour Lacan, c’est l’espace où se joue notre rapport au désir et à l’Autre.
  • En clinique, c’est un nœud sensible, toujours susceptible de se réactiver — à condition de pouvoir le symboliser.

Dans la fratrie, on apprend à aimer, à haïr, à désirer… et parfois, à devenir soi.


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