Guy Benaderette
Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 17
Guy Benaderette
Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 17

Le roman familial


La famille Freud (1876)

Qu’est-ce que ça veut dire « roman familial » ?

Dans le cabinet du psychanalyste, il n’est pas rare d’entendre des histoires familiales racontées avec intensité, précision, parfois douleur. Chacun arrive avec un récit sur sa famille, tissé d’anecdotes, de blessures, de non-dits. Ce récit, souvent repris, enrichi, modifié au fil du temps, constitue ce que Freud appelait déjà le “roman familial”.

Mais au-delà de ce que l’on croit savoir de sa famille, la psychanalyse — et plus particulièrement Lacan — nous invite à entendre autre chose : ce que ce récit dit du sujet, ce qu’il cherche à réparer, à idéaliser, ou à fuir.

Une fiction nécessaire

Le terme de “roman” n’est pas employé par hasard. Il ne s’agit pas ici d’un mensonge, mais d’une construction psychique, une mise en forme imaginaire destinée à donner sens à ce qui échappe, à ce qui manque. Chacun, à un moment de sa vie, invente son roman familial : un récit plus ou moins cohérent, qui vise à répondre à une question essentielle — “D’où je viens ?”, “Pourquoi suis-je ce que je suis ?”

Dans l’approche lacanienne, ce roman est vu comme une tentative du sujet pour se situer dans le désir de l’Autre, c’est-à-dire dans le regard, les attentes, les fantasmes de ses parents ou de ses figures proches. Il constitue une manière d’habiter une place dans une histoire que l’on n’a pas choisie, mais que l’on essaie de rendre plus vivable, plus acceptable, voire héroïque.

Le manque au cœur du récit

Pour Lacan, le sujet se constitue à partir d’un manque : il n’est pas l’auteur de son désir, et encore moins de celui de ses parents. Il naît dans un monde de discours, de symboles, d’attentes. Le roman familial vient alors combler ce vide originel, cette part d’énigme autour des origines, des places et des secrets.

Ainsi, dans ce roman, il arrive souvent que les figures parentales soient modifiées : le père peut devenir un héros ou un bourreau, la mère une sainte ou une victime. Des frères et sœurs sont mis en rivalité, des grands-parents idéalisés ou effacés. Ce n’est pas forcément faux, mais ce n’est pas non plus la vérité historique. C’est une vérité subjective, une écriture inconsciente qui parle de ce que le sujet a dû organiser pour tenir debout psychiquement.

La fonction imaginaire : se protéger, se construire

Pourquoi construire ce roman ? Parce qu’il protège. Parce qu’il permet au sujet de se donner une place, une identité, un fil conducteur dans le chaos du réel. Par exemple, imaginer que l’on a été moins aimé que son frère ou sa sœur, que l’on n’a pas été désiré, ou au contraire que l’on est “l’élu”, peut aider — ou faire souffrir — mais surtout, cela dit quelque chose de la manière dont le sujet a perçu (ou fantasmé) son lien aux figures parentales.

Le roman familial peut aussi servir de boussole inconsciente : il nous dit ce que nous croyons devoir reproduire, éviter, réparer. Il influence nos choix amoureux, professionnels, nos symptômes, parfois à notre insu.

Quand le roman devient un carcan

Mais ce roman, aussi protecteur soit-il, peut devenir une prison. Il arrive qu’un patient répète, sans le savoir, les scénarios familiaux, qu’il s’interdise de réussir, ou au contraire qu’il cherche sans fin à prouver sa valeur à des parents absents ou défaillants. Le roman, à ce moment-là, prend trop de place, et écrase le désir propre du sujet.

C’est là que l’analyse peut jouer un rôle fondamental. Il ne s’agit pas de “détruire” ce roman, ni de le corriger comme on corrigerait une biographie, mais de le faire parler autrement.

Déplier le roman dans la cure

Dans le cadre d’une psychanalyse, le roman familial peut être entendu, exploré, déplié mot à mot. Ce travail permet de séparer le sujet de cette fiction trop collée à lui, de l’alléger, parfois de le réécrire autrement. À mesure que le sujet parle, il découvre que derrière les personnages du récit, il y a ses propres désirs, ses peurs, ses fantasmes.

Cette traversée du roman familial permet alors un pas nouveau : celui de ne plus vivre uniquement dans le regard parental, mais de commencer à parler depuis sa propre place, avec ses mots, ses choix, ses pertes aussi.

S’autoriser à écrire autre chose

Le roman familial, dans la lecture lacanienne, n’est pas un piège, mais un point de départ. C’est en l’interrogeant, en le mettant en mouvement, que le sujet peut cesser de se prendre pour un personnage de cette histoire, et commencer à en écrire une autre.

Non pas celle de la “vérité” familiale au sens factuel, mais une vérité plus intime : celle de son désir. Et cela, parfois, suffit à libérer une parole, une respiration, un possible.


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