Dans le monde de la psychanalyse, l’œuvre de Jacques Lacan occupe une place particulière. Dense, souvent déroutante, sa pensée a néanmoins bouleversé la manière dont on comprend l’inconscient, le langage et le sujet. Pour beaucoup, entrer dans une "cure lacanienne", c’est accepter de faire un pas de côté. Mais que signifie vraiment cette expression ? Et qu’est-ce qui distingue l’approche lacanienne d’autres formes de thérapie ou de psychanalyse ?
Une autre manière d’écouter
Lacan part d’un postulat simple, mais radical : l’inconscient est structuré comme un langage. Ce n’est pas une boîte noire remplie de souvenirs refoulés ou de pulsions incontrôlées, mais un système vivant, qui se manifeste dans nos lapsus, nos rêves, nos oublis — bref, dans tout ce qui dérape dans notre parole.
Dans cette optique, le rôle du psychanalyste n’est pas de conseiller ou de corriger, mais d’écouter autrement, avec une attention particulière à ce qui "échappe", ce qui "cloche", ce qui fait retour malgré nous. Il s’agit d’entendre ce que le sujet dit malgré lui.
Le fameux "pas de côté"
Quand on parle de "faire un pas de côté" en psychanalyse lacanienne, on évoque cette idée de déplacement. Il ne s’agit pas d’aller droit au but ou de chercher une solution rapide au mal-être. Au contraire, la cure invite à décentrer son regard, à considérer les choses sous un angle nouveau.
Par exemple, une personne peut venir consulter parce qu’elle répète toujours les mêmes schémas amoureux. Plutôt que de chercher un pourquoi linéaire ou une cause unique dans l’enfance, l’analyse va prêter attention à la manière dont cette personne en parle, aux mots qu’elle emploie, aux images qui reviennent… et c’est souvent là, dans les petits dérapages du langage, que quelque chose de l’inconscient se dit.
Le "pas de côté", c’est aussi ce que le psychanalyste opère dans sa manière d’intervenir. Il ne donne pas de réponses toutes faites. Il pose parfois une question déroutante, ou interrompt une séance au moment où le sujet ne s’y attend pas — pour marquer un temps, souligner un point, laisser résonner une parole. Cela peut surprendre, parfois agacer, mais c’est précisément ce décalage qui peut ouvrir une brèche dans la répétition.
Une cure singulière
Contrairement à certaines psychothérapies qui suivent des protocoles précis, la cure lacanienne est fondamentalement singulière. Elle ne suit pas un plan tout tracé, elle s’invente à mesure qu’elle se déroule, en fonction de ce que le sujet apporte et de ce qui se joue dans la relation avec l’analyste.
Cela demande du temps, mais aussi une certaine confiance dans le processus. On ne sait pas toujours où l’on va, mais on accepte d’être déplacé. Ce n’est pas un chemin de confort, mais un chemin de vérité — pas une vérité absolue, mais la vérité du sujet, celle qui, parfois, ne peut se dire qu’à travers le détour, la métaphore ou le silence.
Le symptôme, un message à déchiffrer
Lacan ne voit pas le symptôme comme un simple dysfonctionnement à éliminer, mais comme un message, une formation de l’inconscient. C’est un compromis, une solution bricolée face à un conflit intérieur, une manière pour le sujet de se dire sans savoir exactement ce qu’il dit.
La cure n’a donc pas pour but de "faire disparaître" le symptôme à tout prix, mais d’en changer le rapport. En déchiffrant ce que le symptôme cherche à exprimer, le sujet peut parfois en modifier la logique, en faire quelque chose d’autre. Ce n’est pas une guérison magique, mais un travail de subjectivation : reprendre la main sur ce qui nous traverse.
Une éthique de la parole
Au fond, l’approche lacanienne repose sur une éthique particulière, celle de la parole. Ce qui se dit en analyse n’est pas pris à la légère. Chaque mot compte, non pas pour sa vérité factuelle, mais pour ce qu’il révèle du rapport du sujet au monde, aux autres, à lui-même.
Faire une analyse, c’est accepter d’entrer dans cet espace singulier où la parole a du poids, où l’on apprend peu à peu à entendre ce que l’on dit — et à se surprendre soi-même.
Se laisser surprendre…
Entrer en cure avec un psychanalyste d’orientation lacanienne, c’est accepter de ne pas savoir à l’avance ce que l’on va y trouver. C’est se laisser surprendre par ce qui émerge, décaler son regard, faire un pas de côté. Ce pas, parfois minuscule, peut pourtant transformer profondément notre manière d’habiter le monde.