Guy Benaderette
Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 17
Guy Benaderette
Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 17

Déprimé ? Dépressif ? En dépression ?


La dépression est devenue l’un des mots les plus courants du discours contemporain. On l’évoque pour dire un mal-être diffus, une perte d’élan, une fatigue de vivre. Du côté médical, elle est souvent réduite à une pathologie de l’humeur, un dysfonctionnement neurochimique qu’il faudrait corriger par des traitements.

Mais du point de vue de la psychanalyse, la dépression n’est pas une entité univoque : elle est un symptôme, et comme tout symptôme, elle parle, elle a un sens pour le sujet, même si celui-ci l’ignore.

La dépression n’est pas "une" : pluralité des formes subjectives

Dire “je suis déprimé” ne suffit pas à cerner ce qui se joue psychiquement. Dans la clinique psychanalytique, il s’agit moins de poser un diagnostic que d’écouter comment ce mal-être s’articule dans le discours du sujet. Lacan nous invite à aller au-delà du symptôme apparent pour en saisir la logique subjective.

Il y a en effet plusieurs formes de dépression, selon la structure du sujet, selon l’histoire singulière qui s’y inscrit :

  • Chez certains, la dépression prend la forme d’un effondrement du désir, une perte d’élan vital, comme si rien ne faisait plus limite à l’ennui ou au vide.
  • Chez d’autres, elle s’accompagne d’une culpabilité intense, souvent irrationnelle, comme s’ils portaient une faute originelle.
  • D’autres encore expriment une colère retournée contre soi, une rage étouffée, déguisée en tristesse ou en inhibition.

Dans tous les cas, la dépression n’est pas un simple “manque de sérotonine” : elle témoigne d’un rapport troublé au désir, à l’Autre, à la perte.

La dépression comme réponse à un défaut de séparation

Pour comprendre la dépression, il faut d’abord situer le sujet dans sa dépendance au désir de l’Autre. Dès ses premiers enseignements, Lacan montre que le sujet se constitue à partir de ce qu’il perçoit du désir de l’Autre — en particulier de la mère — et que toute subjectivation passe par une séparation d’avec ce désir.

Or, la dépression surgit souvent là où cette séparation a échoué, ou là où elle a été trop brutale. Le sujet reste captif du regard de l’Autre, sans pouvoir s’en extraire, ou bien il en est violemment éjecté, sans plus aucun repère symbolique.

C’est dans ce contexte qu’on peut entendre la plainte du déprimé : “Je ne vaux rien”, “Je ne sers à rien”, “Personne n’a besoin de moi”. Derrière ces mots, c’est souvent le sentiment d’avoir perdu sa place dans le désir de l’Autre qui se joue. Le monde devient vide parce qu’il n’y a plus de lien vivant avec l’Autre, plus d’inscription symbolique qui soutienne le sujet.

Dépression et mélancolie : une distinction nécessaire

Freud, dans son texte “Deuil et mélancolie”, distingue deux formes de tristesse profonde : le deuil, réaction normale à une perte, et la mélancolie, qui s’installe là où la perte n’est pas assumée consciemment.

Lacan reprend cette distinction, en précisant que la mélancolie est une structure, et non un état passager. Dans cette configuration, le sujet ne perd pas simplement un objet aimé : il perd une part de lui-même, une part de son être, absorbée par l’objet perdu. C’est pourquoi le mélancolique ne se sent pas triste à propos de quelque chose, mais il se vit lui-même comme perte, comme vide incarné.

Il dit : “Je suis une merde”, non pas comme jugement moral, mais comme formule ontologique. Il se vit comme étant le rebut de l’Autre, son déchet.

Dans ces cas-là, le traitement ne vise pas à “remonter le moral”, mais à permettre au sujet de se séparer de cet objet engloutissant, de retrouver une position de sujet capable de désir.

La chute du fantasme : un déclencheur fréquent

Un autre ressort fréquent de la dépression dans l’approche lacanienne est l’effondrement du fantasme. Lacan affirme que le fantasme est le support du désir. C’est à travers lui que le sujet donne forme à son rapport au monde, à l’amour, à la sexualité.

Quand ce fantasme se fissure — par exemple à la suite d’un échec amoureux, d’un départ, d’un événement qui remet en cause le scénario imaginaire du sujet — celui-ci peut être confronté à un vide de sens brutal, une impossibilité de se situer, une chute dans le réel.

Le sujet ne sait plus comment désirer. Et c’est ce qui engendre, souvent, l’abattement, la fatigue, le désintérêt général que l’on qualifie de “dépression”.

Une réponse singulière à une impasse du désir

Lacan insiste sur le fait que la dépression est une façon d’y répondre, une solution du sujet à une impasse. Elle n’est ni erreur, ni faiblesse, ni maladie à éradiquer : elle est un symptôme, et comme tout symptôme, elle mérite d’être interprétée, écoutée, traversée.

La cure analytique ne vise donc pas à “guérir la dépression”, mais à faire parler ce qui s’exprime dans le silence du symptôme. À entendre le sujet là où il souffre de ne plus pouvoir se situer, à l’aider à retrouver un rapport vivant au manque, au désir, au langage.

Relancer le désir, pas supprimer le symptôme

La psychanalyse, surtout dans son versant lacanien, ne vise pas la suppression du symptôme à tout prix, mais sa transformation. Elle n’impose pas un bien-être normatif, mais elle accompagne un sujet dans sa traversée de la perte, dans sa tentative de redonner un sens singulier à sa souffrance.

Dans cette perspective, la dépression n’est pas une anomalie à corriger, mais un cri à écouter, une trace d’un ratage du désir, qui peut, dans le cadre d’un travail analytique, devenir le point de départ d’un nouveau positionnement subjectif.


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