
Tout le monde connaît la peur. C’est une émotion naturelle qui nous avertit d’un danger réel : un serpent, une voiture qui arrive trop vite, une situation menaçante. Mais quand la peur devient excessive, irrationnelle, et qu’elle envahit notre vie sans raison évidente, on parle alors de phobie. Peur de prendre l’avion, de parler en public, des araignées, des espaces clos, ou même d’être abandonné… ces peurs peuvent devenir très handicapantes.
Mais d’où viennent les phobies ? Que se passe-t-il dans notre esprit ? Pour le comprendre, on peut se tourner vers la psychanalyse, notamment les travaux de Sigmund Freud et de Jacques Lacan, deux grandes figures qui ont profondément marqué notre compréhension de l’inconscient.
Freud : la phobie comme un déplacement
Freud, le père de la psychanalyse, s’est intéressé aux phobies dès ses premiers cas cliniques. Pour lui, une phobie est souvent le déplacement d’une angoisse plus profonde, liée à des conflits intérieurs inconscients.
Un exemple célèbre est celui du “petit Hans”, un garçon de cinq ans qui avait une peur intense des chevaux. Freud interprète cette peur comme une façon détournée d’exprimer une angoisse liée à son père. L’enfant redoutait que son père le punisse pour ses désirs inconscients envers sa mère (ce qu’on appelle le complexe d’Œdipe). Incapable d’affronter directement cette peur, l’enfant la déplace sur une figure symbolique : le cheval.
Ainsi, dans la perspective freudienne, la phobie a une fonction : elle permet de maîtriser l’angoisse en la fixant sur un objet concret, même s’il est apparemment sans rapport.
Lacan : la phobie comme “signifiant” de l’angoisse
Jacques Lacan reprend les idées de Freud mais les reformule dans un langage plus centré sur le langage et les structures psychiques. Pour lui, la phobie est un “symptôme” qui apparaît quand un élément essentiel manque dans la construction de l’identité de l’enfant.
Dans la théorie lacanienne, le père joue un rôle symbolique important : il aide l’enfant à se séparer de la mère, à entrer dans le monde des règles, du langage, de la société. S’il y a une faille dans ce processus — si cette fonction symbolique du père est absente ou floue — alors l’enfant peut créer un “objet phobique” pour combler ce vide.
Ce n’est pas l’objet en soi (le chien, l’avion, le vide) qui fait peur, mais ce qu’il représente dans l’inconscient : une tentative de donner forme à une angoisse trop difficile à dire. La phobie devient une sorte de “mot” silencieux pour exprimer ce qui ne peut pas être dit autrement.
Même si les méthodes ont évolué et que d’autres approches (comme les thérapies comportementales) sont efficaces pour traiter les phobies, les apports de Freud et Lacan restent précieux. Ils nous rappellent que derrière une peur irrationnelle se cache souvent une histoire personnelle, un conflit, une souffrance qui mérite d’être écoutée.
Dans une démarche psychanalytique, on ne cherche pas seulement à “faire disparaître” la phobie, mais à comprendre ce qu’elle dit de nous. C’est un travail plus long, mais qui peut amener à des transformations profondes.
La phobie n’est donc pas seulement une peur exagérée. C’est un message codé de l’inconscient, une réponse à un déséquilibre psychique. En comprenant ce langage symbolique, on peut mieux saisir ce qui se joue en nous et avancer vers un mieux-être durable.