Guy Benaderette
Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 17
Guy Benaderette
Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 17

Quand il y a "trop" de mère !


La figure de la mère prédatrice revient régulièrement dans la parole des analysants. Elle surgit comme une présence étouffante, envahissante, parfois douce, souvent culpabilisante. Elle peut aimer trop, parler à la place de l’enfant, lui coller aux gestes, lui voler sa parole. Dans la culture contemporaine, elle est tantôt dénoncée comme toxique, tantôt présentée comme « trop aimante ». En psychanalyse, cette figure mérite une lecture rigoureuse et nuancée.

Au-delà de la “mauvaise mère”

Il ne s’agit pas ici de juger les mères, encore moins de pathologiser leur fonction. Lacan ne propose pas une typologie des “bonnes” ou “mauvaises” mères. Il s’intéresse plutôt à la fonction maternelle dans la structure du sujet, à la manière dont cette fonction peut envelopper ou écraser le désir de l’enfant.

La mère prédatrice n’est donc pas nécessairement une mère malveillante. Elle peut être, au contraire, une mère très investie, présente, dévouée. Mais c’est justement cette présence sans faille, sans creux, qui pose problème. C’est une présence pleine, qui ne laisse aucune place au manque, et donc aucune place pour le désir de l’enfant.

Le désir de la mère et le danger qu’il représente

« Le désir de la mère est le premier objet de l’angoisse. »

Pourquoi ? Parce que ce désir est énigmatique, insaisissable, totalisant. L’enfant ne sait pas ce qu’il représente pour cette mère — est-il aimé ? désiré ? objet de compensation ? prolongement d’elle-même ? — et c’est précisément cette indétermination qui crée l’angoisse. Le danger n’est pas tant que la mère désire, mais que ce désir n’ait pas de limites, qu’il soit sans médiation symbolique, qu’il ne rencontre aucune loi.

La mère prédatrice est donc celle dont le désir n’est pas barré par la fonction du père, c’est-à-dire qu’il n’est pas inscrit dans un ordre symbolique où l’enfant peut exister comme sujet séparé, distinct de son parent. Là où le Nom-du-Père fait coupure, introduit la loi et permet au sujet d’accéder à son propre désir, la mère prédatrice court-circuite cette séparation. Elle sature l’espace psychique. Elle fait de l’enfant un objet de son besoin ou de sa jouissance.

Quand la mère veut tout le bien de l’enfant

Souvent, cette prédation prend une forme douce, bienveillante en apparence : “Je veux le meilleur pour toi”, “Je fais tout pour ton bien”, “Sans moi, tu ne t’en sortiras pas.” C’est une mère qui s’identifie à la toute-puissance du soin, qui ne reconnaît pas les limites de son action ni l’autonomie du sujet en face d’elle.

Lacan évoque parfois ces mères comme « crocodiles d’amour », qui absorbent leur progéniture dans un bain affectif sans discontinuité. Il y a là une jouissance maternelle qui se nourrit de la dépendance de l’enfant. Cette jouissance, lorsqu’elle n’est pas traversée par le symbolique, devient dévorante.

Effets cliniques : inhibition, culpabilité, effacement du désir

Les effets subjectifs de ce type de lien maternel sont nombreux et repérables dans la clinique :

  • Des adultes qui ne savent pas ce qu’ils veulent, car ils ont toujours été pris dans le désir de l’Autre.
  • Des patients profondément culpabilisés à l’idée de s’éloigner, de décevoir, de poser une limite.
  • Une inhibition du désir, parfois massive, comme si le moindre mouvement vers l’autonomie était un crime contre la mère.
  • Une angoisse de séparation qui se prolonge bien au-delà de l’enfance.

L’enfant n’a pas été reconnu comme sujet, mais comme prolongement narcissique ou objet de réparation. Il n’a pas pu se construire dans un espace où le manque est tolérable, où le désir peut advenir.

Quel traitement en psychanalyse ?

Lacan ne propose pas de solution éducative ou comportementale. L’enjeu de la cure analytique est de faire émerger la place du sujet face à cette mère toute-puissante, de rendre possible la séparation symbolique.

Cela ne passe pas forcément par un rejet de la mère ou une dénonciation brutale. Mais par une relecture du lien à travers la parole, l’interprétation, le transfert. Le patient découvre qu’il a été pris dans un scénario, un fantasme maternel, et qu’il peut — non sans douleur — s’en désidentifier.

La cure vise à desserrer l’étau du surmoi maternel, à rompre cette logique du “tu me dois tout”, à faire exister un espace où le sujet peut désirer pour lui-même.

Sortir de la dette, retrouver du manque

La mère prédatrice n’est pas un monstre, mais une fonction psychique qui, lorsqu’elle n’est pas limitée par le symbolique, entrave la constitution du sujet. La psychanalyse ne cherche pas à accuser les mères, mais à comprendre comment le désir maternel, lorsqu’il n’est pas médiatisé par une loi, peut devenir aliénant.

Sortir de ce lien, ce n’est pas tuer la mère, c’est accepter qu’elle manque, qu’elle ne sait pas tout, qu’elle ne peut pas tout. C’est en cela que se loge la possibilité d’un désir propre, d’une parole singulière. Là où la mère prédatrice enferme, le symbolique ouvre.


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