Quand le désir déraille et que le Réel frappe fort
(Une tentative de décodage psychanalytique sans prise de tête)
La trahison, ça pique. Ça bouleverse, ça déchire, ça fait hurler sous la douche ou écrire des SMS passifs-agressifs à 2h du matin. Mais au-delà de la douleur brute, la trahison n’est pas simplement une faute morale ou une "erreur de parcours", mais plutôt une brèche qui révèle le fonctionnement profond du désir, du lien à l’Autre, et de ce fameux Réel qui fait irruption là où on ne l’attend pas.
Évoquer la trahison, c’est parler de désir, de symbolique, de Réel, de manque, et peut-être même de ce que la trahison vient nous dire sur nous-mêmes. Et tout ça, promis, sans passer par l’angoisse existentielle (enfin… pas trop).
1. La trahison comme affaire de structure (et non de morale)
Avant toute chose, il ne s’agit pas, dans notre champ de pratique de juger. On ne dit pas "c’est mal" ou "c’est bien", mais plutôt "qu’est-ce que cela dit du sujet, de son rapport à l’Autre, et à lui-même ?".
La trahison, dans ce cadre, n’est pas une "faute", mais un symptôme, un indice. Elle révèle une tension, un décalage, une faille dans le système de symboles qui organise notre monde psychique.
Pourquoi trahit-on ? Pas juste pour le plaisir ou par méchanceté. Mais parce que quelque chose du désir se dérobe, échappe à ce qu’on croyait vouloir. La trahison surgit quand le sujet suit son désir, souvent sans en comprendre lui-même la logique, et parfois au détriment du contrat symbolique qui le liait à l’autre.
2. Le désir, ce trouble-fête insatiable
Chez Lacan, le désir n’est jamais simple. Ce n’est pas juste "je veux ça" ou "j’aime untel". Le désir est désir de l’Autre, ce qui veut dire qu’il est toujours pris dans le regard, le manque, la parole de l’autre. On désire ce qui nous manque, ce que l’autre semble posséder, ce qu’on croit qu’il attend de nous. C’est un casse-tête permanent.
Dans la trahison, il y a souvent ce moment où le sujet va vers un objet de désir "ailleurs", comme s’il essayait de combler un vide, de rattraper quelque chose qui lui échappe depuis toujours. Lacan dirait que le sujet ne trahit pas pour fuir, mais pour suivre son désir, même s’il le mène au chaos.
Mais voilà le hic : le désir ne se satisfait jamais vraiment. Ce qu’on croyait trouver "ailleurs" n’est souvent qu’un miroir de ce qui manque en soi.
3. Le Symbolique et le pacte trahi
Dans le monde lacanien, nous sommes tous pris dans le Symbolique : ce grand réseau de lois, de langage, de pactes implicites qui nous permettent de vivre ensemble. Une promesse, un serment, une relation engagée : tout cela relève du Symbolique. C’est ce qui structure nos relations, ce qui donne du sens à notre parole.
La trahison, c’est une rupture dans ce tissu symbolique. Quelque chose est dit… puis démenti par l’acte. "Je t’aime", et puis "je suis allé ailleurs". "Je serai toujours là", et puis silence radio. Cette faille entre ce qui est dit et ce qui est fait crée une déstabilisation profonde. Ce n’est pas seulement l’autre qu’on perd, c’est un repère dans le monde symbolique qui s’effondre.
4. Le Réel : quand ça déborde
Et là, entre en scène le Réel, cette dimension si chère (et si redoutée) chez Lacan. Le Réel, c’est ce qui échappe à notre capacité de mettre en mots. C’est ce qui résiste à être symbolisé. C’est le cri, la douleur brute, le choc que rien ne peut pleinement expliquer.
La trahison, dans ses effets les plus violents, touche au Réel. C’est l’irruption du non-sens, du "ça ne devrait pas arriver", du "je ne comprends plus rien". C’est une chute hors du langage, une collision avec une vérité qui ne se laisse pas digérer.
On pensait avoir un récit solide, une place claire, une relation définie. Et voilà que tout s’effondre. Le Réel, c’est cette claque-là. Et c’est souvent le début… d’un possible changement.
5. Le transfert : rejouer pour comprendre
En cure analytique, la question de la trahison se rejoue souvent dans le transfert. Le patient projette sur l’analyste des attentes immenses : reconnaissance, réparation, loyauté absolue. Et quand l’analyste reste silencieux, ou ne répond pas comme attendu, il peut être vécu comme… un traître.
Mais ce que Lacan montre ici, c’est que cette "trahison" apparente est une occasion de faire émerger le désir du sujet, de découvrir ses attentes inconscientes, ses blessures anciennes. La trahison transférentielle devient alors outil de vérité, un moyen de mettre à jour ce qui, jusque-là, se répétait sans être vu.
En conclusion : trahison, vérité, et détour du désir
La trahison est moins un problème à régler qu’un phénomène à interroger. Elle parle du désir en mouvement, du symbolique qui se fissure, du Réel qui déborde, et parfois d’un sujet qui cherche à se retrouver, là où il pensait se perdre.
Trahir ou être trahi, ce n’est jamais neutre. Mais c’est parfois l’occasion, si on ose l’analyser, de toucher quelque chose de vrai. Non pas une vérité générale, mais la vérité du sujet, celle qu’on contourne souvent… jusqu’à ce qu’elle s’impose, dans le fracas d’un acte qui dépasse les mots.
Alors, plutôt que de condamner ou d’idéaliser la trahison, la psychanalyse lacanienne nous invite à l’écouter : comme un message codé du désir, une secousse dans notre fiction, et peut-être… une chance de réécrire un peu notre histoire.
