La haine et l’envie sont souvent mal vues dans nos sociétés : on les condamne, on les juge, on essaie de les refouler. Pourtant, la psychanalyse — notamment dans l’orientation lacanienne — nous invite à les regarder autrement. Ces passions, loin d’être de simples excès émotionnels, jouent un rôle structurant dans notre rapport à l’Autre, au désir et à notre propre subjectivité.
Les trois passions fondamentales selon Lacan
Dès ses premiers séminaires, Jacques Lacan propose une classification originale des passions humaines : l’amour, la haine et l’ignorance. Il ne les hiérarchise pas, mais les envisage comme trois manières fondamentales de se rapporter à l’Autre :
- L’amour cherche à faire Un avec l’Autre, à le combler.
- La haine veut au contraire le rejeter, s’en séparer radicalement.
- L’ignorance nie jusqu’à l’existence de l’Autre ou son influence.
Ces passions révèlent comment le sujet se constitue dans le langage, dans le manque, dans la confrontation au désir. Elles ne sont pas des accidents, mais des expressions fondamentales de notre structure psychique.
Haine : le revers de l’amour
La haine n’est pas qu’une simple colère ou agressivité. Dans la perspective lacanienne, elle est profondément liée à l’amour — son envers, parfois son double. On ne hait vraiment que ce (ou celui) qu’on a aimé, ou qui menace notre place dans le désir de l’Autre.
Elle surgit face à une intrusion, un danger, une jouissance supposée de l’Autre qui nous exclut. Elle marque un rejet fondamental de ce que l’Autre représente : une limite, une dette, une énigme. Pour Lacan, reconnaître cette haine est un premier pas éthique : il ne s’agit pas de l’exalter, mais de la traverser, de lui donner un espace dans la parole pour qu’elle ne s’exprime plus en acte ou en symptôme.
Envie : le regard et le manque
Moins visible, plus silencieuse que la haine, l’envie n’en est pas moins puissante. Elle naît du regard porté sur l’Autre — sur ce qu’il a, mais surtout sur la jouissance qu’on lui suppose. Ce n’est pas tant l’objet lui-même qui est envié, mais le plaisir que l’Autre semble en tirer.
L’envie renvoie ainsi à notre propre manque, à notre incomplétude. Elle exprime une souffrance devant ce que l’Autre représente comme complétude imaginaire. À travers elle, se rejoue la structure même du désir humain : désirer, c’est manquer.
Transfert : la haine et l’envie dans la cure
En psychanalyse, ces affects peuvent se manifester dans la relation transférentielle. Un analysant peut haïr son analyste pour son silence, pour sa position, pour sa place d’Autre supposé savoir. De même, il peut l’envier pour ce qu’il semble détenir : une forme de maîtrise, de bien-être, de jouissance.
Mais loin d’être des obstacles, ces mouvements sont des ressources pour la cure. Ils dévoilent des vérités du sujet, des points de butée. L’analyste ne les censure pas : il les accueille, les met au travail, pour permettre une transformation subjective.
Traverser, pas éradiquer
La psychanalyse ne cherche pas à supprimer haine et envie, ni à produire des sujets toujours calmes et pacifiés. Elle propose plutôt une traversée de ces passions : les reconnaître, les mettre en mots, s’en désidentifier.
Ce qui compte, ce n’est pas de les « positiver », mais de comprendre ce qu’elles disent du rapport du sujet à l’Autre, au manque, au désir. C’est dans cette mise en travail que peut s’esquisser une forme de liberté — non pas l’extinction des passions, mais une autre manière de les vivre, de ne plus en être le jouet.
Et vous, comment ressentez-vous ces affects dans vos propres relations ? La psychanalyse n’a pas pour but de moraliser, mais d’ouvrir un espace pour dire, comprendre, transformer. Parfois, traverser la haine ou l’envie, c’est déjà commencer à se réconcilier avec ce qu’elles nous apprennent de nous-mêmes